Dans les nuits de canicule, fêtez les Adonies!
Alors que de nombreux païens de par le monde célèbrent aujourd'hui la fête de Lammas, la Compagnie de Flora s'apprête à célébrer les Adonies, ce rituel grec qui voyaient des femmes s'assemblées sur les toits et les terrasses, faire la fête toute la nuit en l'honneur d'Adonis puis pleurer sa mort en même temps qu'Aphrodite, son amante.
Soyez en fête, dansez et célébrer l'été brûlant comme jamais, mais bientôt l'été sera passé et Adonis sera mort dans la pleine fleur de sa jeunesse! Io Adonis! Io Aphrodite! L'été va se consumer de passion et de lascivité, mais le printemps reviendra l'année d'après!
Les jardins d’Adonis
A la fin du mois de
juillet, quand l’étoile du Chien Sirius se levait, signalant le moment, le plus
chaud de l’année, des groupes privés de femmes tenaient des festivités
nocturnes sur les toits en l’honneur d’Adonis, l’infortuné amant d’Aphrodite.
Il semble que les célébrantes n’étaient pas organisées en fonction d’une
quelconque loi dictée par la cité mais consistait simplement de voisines et d’amis
qui décidaient de perpétuer les festivités traditionnelles ensemble. En effet,
le calendrier religieux officiel de la polis n’avait rien à dire au sujet des
Adonies – l’organisation, le matériel, la conduite et les finances étaient dans
les mains des groupes informels de femmes qui dansaient, chantaient et jouaient
sur les toits des maisons durant au moins une ou plusieurs nuits.
Les lexicographes grecs
tardifs donnent des définitions très limitées des Adonies et de son aspect le
plus intéressant, les kêpoi Adônidos (jardins d’Aphrodite). Hesychios, en plus
de noter qu’adônêis était le nom d’une hirondelle et d’une laitue et qu’Adônis
est un poisson, le mot phénicien pour Seigneur ainsi que le nom d’un jet de dé,
porte cette entrée pour Adônidos kêpoi : « aux Adonies ; elles
sortent les images (eidôla) et les jardins dans des pots en terre et elles
préparent pour lui (Adonis) les jardins avec tout type de végétation, telles
que du fenouil et de la laitue ; car elles disent qu’il s’allongea avec
Aphrodite sur un tapis de laitue. » La Souda repète en grande partie la
même chose et ajoute que les jardins d’Adonis sont des jardins suspendus dans les
airs, et que leur signification proverbiale couvre des choses superficielles et
sans substance – prématurées, éphémères, et privées de racines. Photios ajoute
que certains disent que la fête des Adonies se tient en l’honneur d’Adonis, d’autres
en celle d’Aphrodite, et qu’elle provient des Phéniciens et des Chypriotes.
Photios cite quatre
poètes de l’Ancienne Comédie (Pherekrates, Kratinos, Platon et Aristophane), et
qu’il apparaît d’après d’autres sources qu’Adonis et son culte étaient des
sujets populaires sur la scène comique athénienne durant le Ve siècle avant
J.-C. Les pièces nommées Adonis et Adoniazousai sont attestées chez sept poètes
différents et des fragments d’autres pièces contiennent des références à la
fête, comme c’est le cas dans le fragment 170 Kock de Pherekratès : « nous
célébrons les Adonies et nous pleurons pour Adonis. » ce qui pouvait fort
bien avoir été dit non pas par une femme dans le sens littéral du terme mais
par un homme expliquant de manière originale ses larmes, ainsi que Dionysos et
Xanthias essaient de justifier leurs cris de souffrance dans les Grenouilles
(v. 649-661).
Il y a seulement trois
textes littéraires qui se révèlent informatifs concernant les Adonies lors de
la période classique, et chacun d’eux est à sa manière tendancieuse. Deux proviennent
de comédies, ce qui suppose toujours un tour dédaigneux ou ironique dans ses
références aux femmes, et l’une provient de Platon. La mention la plus ancienne
est issue de la pièce Lysistrata d’Aristophanes (411 avant J.-C.). Après que
les femmes aient occupé avec succès l’Acropole, un petit homme bagarreur et
bredouillant apparait sur scène. Il est le Proboulos ou le Commissaitre à la
Sûreté Publique et demande à savoir ce qui se passe.
« Quels bruyants
éclats a produits cette orgie féminine,
Frappant leurs tambourins
et chantant continuellement ‘Sabazios, Sabazios’ ?
Et ces lamentations sur
les toits en l’honneur d’Adonis,
Qui, dès lors que j’entendais
l’autre jour, du lieu même de l’Assemblée :
Démostratos, cet homme minable
proposait
De mener une expédition
navale en Sicile, tandis que sa felle, dansant,
Critait ‘Malheureux !
Malheureux Adonis !’ Alors Démostratos proposa
De lever des hoplites à à
Zakhynthè ;
Pendant que sa femme, un
peu ivre sur le toit,
D’écriait ‘Frappez votre
poitrine, pleurez pour Adonis !’ »
Dans la pièce, ce pompeux
personnage reçoit la punition qu’il mérite, dans la mesure où les femmes
défendent l’accès au trésor de la cité dans le temple d’Athéna pour arrêter l’interminable
guerre du Péloponnèse. A la fin de cette scène, le Commissaire est enroulé dans
des voiles de femmes et poussé hors de la scène comme un corps en habits
enroulé dans son linceul. Il est ce qu’on peut appeler un personnage grincheux
et désapprobateur qui exagère la suspicion que beaucoup d’hommes ont pu
ressentir au sujet de la passion, de la danse et de la « licence »
des femmes sur les toits des maisons. Notez que cette scène semble n’impliquer
que des femmes mais que les actions qui ont lieu ne sont pas secrètes. Elles
sont visibles et audibles, bien que séparées de la vie terrestre ordinaire par
l’élévation des toits.
Environ un siècle après,
Ménandre ouvre sa pièce Samia par la confession d’un jeune homme nommé Moschion
qui a mis enceinte sa petite amie lors d’une nuit durant les Adonies (Weill
1970). Elle est la fille d’un homme pauvre qui est le voisin du riche père de
Moschion, lequel garde une hetaira (courtisane) Samienne comme maîtresse. Les
femmes des deux maisons sont devenues amies et célèbrent naturellement les
Adonies ensemble.
« La mère de la
fille se prit d’affection pour la maîtresse Samienne de mon père
Et elle leur rendit
fréquemment visite et ils se rendirent souvent dans notre maison.
Une fois alors que je
rentrais de la campagne, et que je les ai trouvé rassemblées là
Dans notre maison, pour
célébrer les Adonies avec d’autres femmes. Comme on pourrait s’y attendre,
La fête donna lieu à
beaucoup de réjouissances, et j’étais là, disons, comme un spectateur ;
Car leur bruit m’empêchait
de dormir. Elles portaient des jardins sur les toits et dansaient,
Célébrant durant toute la
nuit, éparpillées ici et là. J’hésite à confier le reste.
Peut être que je me sens
honteux alors que je ne devrais pas –
Mais il se trouve que je
suis honteux. La jeune fille se retrouva enceinte :
De cela, vous pouvez
deviner que j’en suis l’auteur. (30-50) »
Parce que les
participantes féminines de plusieurs maisonnées sont dépeintes sur leurs
différents comportements tapageurs et éparpillées sur le toit, Moschion et sa
petite amie ont à l’évidence profité de cette confusion pour s’unir dans un
coin quelque part. Lorsqu’elle tombe enceinte, il admet sa responsabilité à sa
mère et entreprend de l’épouser. Tout comme dans Lysistrata, les festivités
féminines et les rituels apparaissent être organisés de manière informelle et
parfaitement ouverts à la vue. Bien que les hommes ne participent pas, ils
peuvent voir ce qui se passe et dans le cas fictif de Moschion, peuvent
profiter de cette accessibilité inhabituelle à une jeune fille normalement
chaperonnée.
Ces descriptions, chacune
avec un effet comique, des festivités des femmes sont illustrées par une série
de vases allant du Ve au IVe siècles avant J.-C. (Metzger, Weill 1966),
montrant des femmes gravissant des échelles pour se rendre sur le toit, portant
des paniers et des pots avec des pousses végétales à l’intérieur, ainsi que des
plateaux de raison. Aucun homme ne figure sur ce type de scène, si l’on exclue
une apparition occasionnelle d’Eros. Les femmes sont bien habillées mais n’apparaissent
en aucun cas inclinées de manière lascive. La circulation de tels vases montre
de nouveau qu’il n’était pas question d’orgie secrète mais d’un rite féminine
bien toléré, quand bien même il était bruyant et tapageur.
La signification des
jardins eux-mêmes est la mieux approchée par Platon qui les mentionne dans
Phèdre 276B :
« Réponds-moi donc :
un laboureur sensé, s'il avait des semences qu'il affectionnât et qu'il voulût
voir fructifier, irait-il sérieusement les planter en été dans les jardins
d'Adonis pour les voir, à sa grande satisfaction, devenir de belles plantes en
moins de huit jours, ou bien, si jamais il le faisait, ne serait-ce pas par
forme d'amusement ou à l'occasion d'une fête? Mais celles dont il s'occuperait
sérieusement, sans doute suivant les règles de l'agriculture, il les sèmerait
dans un terrain convenable, et se contenterait de les voir arriver à leur terme huit mois après les avoir semées. »
Alors que les représentations
de comédie décrivent le comportement des femmes, Socrate ne mentionne même pas
que les jardins sont un aspect du rite des femmes mais se focalise sur le fait
que ces jeunes pousses dans le jardin d’Adonis n’arrivent pas à maturation. Les
parémiographes mettent aussi cela en avant, comme le proverbe « Tu es
plus stérile que les jardins d’Adonis » était dérivé de la croissance
contrôlée et du flétrissement des jeunes pousses. « le proverbe s’applique
à ceux qui sont incapables de produire quoi que ce soit d’utile ; il est
mentionné par Platon dans le Phèdre. Ces jardins d’Adonis sont cultivés dans
des pots en céramique et grandissent seulement jusqu’au point de verdir. Ils sont
alors emportés en même temps que le dieu mourant et sont jetés dans des sources »
(Zenobios 1.49). « Les jardins d’Adonis – s’applique à toute chose
prématurée et éphémère. Adonis, le bien-aimé d’Aphrodite, ainsi que le raconte
l’histoire, mourut avant d’atteindre la maturité (prohêbês). Ceux qui célèbrent
sa fête cultivent des jardins dans des pots ; les plantes flétrissent
rapidement car elles n’ont pas pris racine ; celles-ci sont appelées
Adonis » (Diogenuianos 1.14). Et l’empereur Julien « … les jardins
que les femmes cultivent dans des pots pour l’époux d’Aphrodite, accumulant de
la terre compostée ; ceux-ci verdissent pour une courte période et
soudainement flétrissent » (Symposium 329 C-D).
Cet ensemble de
références nous permet d’établir quelle était le principal procédé autour
duquel les danses et les chants avaient lieu, à savoir, que différentes sortes
de graines (laitue et fenouil sont spécifiquement mentionnés) étaient plantées
dans une terre enrichie et compostée, dans des jardinières portatives, qu’elles
étaient amplement arrosées et placées sous le plein soleil estival jusqu’à ce
que les pousses apparaissent. Elles étaient alors privées d’eau et laissées s’assécher
et flétrir. Alors, dans une parodie de funérailles, imitant celle d’Adonis, la
terre et la végétation asséchée étaient portées à une source ou à la mer et y
étaient déposées. La germination devait prendre quelques jours – Platon parle
de huit jours – mais le nombre de jours durant lesquels les dévotes célébraient
la fête de la bruyante manière décrite n’est pas précisé. Cela pu n’être qu’un
seul jour, dans la mesure où aucune source ne mentionne le nombre de jours et
que le personnage de Ménandre laisse entendre que le moment où les pots ont été
emportés sur le toit a eu lieu en même temps que les funérailles festives. Peut
être que les jeunes pousses étaient cultivées puis laissées flétrir durant
environs une semaine avant la célébration elle-même. Mais nous aurions
probablement tort d’imposer une logique trop rigide sur une pratique qui
étaient organisée de manière informelle plutôt que contrôlée par la polis.
A la place, nous devrions imaginer qu’un rassemblement de femmes amies entre
elles pour les Adonies avait quelque chose d’aussi ordonné que disons, une fête
moderne d’anniversaire ou la mise en place des décorations du sapin de Noël,
pour lesquels la trame générale est connue à l’avance mais de nombreuses
variations dans les détails de sa conduite et de son style étaient autorisées.
Extrait de J. J. Winkler, The Constraints of Desire: The Anthropology of Sex and Gender in Ancient Greece, New York/Londres, 1990, p. 189-193.
Traduction : Compagnie de Flora
"Summer's almost gone", The Doors
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